Ils sont cinq. Ils ont du talent à revendre. Et on ne leur demande que de regarder, autrement, la ville de La Louvière. Jeter un oeil, curieux, passionné, subtil, adorateur ou décalé, sur cette cité qui compose au présent pour donner au futur proche l’éclat d’un passé florissant.
Originaire de Wuppertal dans le bassin de la Ruhr, la ville natale de Engels, Frederik Arens Grandin a déjà filmé le passé, à travers le portrait d’un soldat de la Wehrmacht. Son grand-père. Né voici 30 ans d’un papa français et d’une mère allemande, il est fasciné par le concept de frontière. «J’aime bien confronter des choses qui n’ont rien à voir pour aller au-delà de l’authenticité et créer une troisième image», raconte-t-il.
Dans son film, il s’est penché sur la Maison du Peuple d’Houdeng-Aimeries. Un concept qui lui était inconnu, malgré sa connaissance de l’histoire du Socialisme. «Je m’interroge sur ce que deviennent les Maisons du Peuple aujourd’hui. S’agit-il de lieux où l’on peut débattre en communauté ou juste de lieux d’existence ?»
Pour nourrir son film, le cinéaste s’est inspiré des bars populaires qui foisonnaient à Wuppertal et leur disparition progressive. Une façon de renouer avec le passé. «Une ville industrielle avec un passé lourd, mais d’où souvent se dégagent des choses positives.» Comme La Louvière en somme. Il suffit parfois d’ouvrir une fenêtre pour voir comment la vie défile et capter l’intimité des gens.
Un défi de taille
Mais le défi est de taille lorsqu’on n’a que cinq semaines pour mener à bien son entreprise – en l’occurrence, un documentaire de dix minutes sur le thème de l’impertinence – dans un pays que vous ne connaissez ni d’Ève ni d’Adam. «C’est une preuve de la manière dont fonctionne ton intuition», commente Iban Del Campo. Ce réalisateur basque estime qu’il faut avoir de la chance pour faire un bon film. Dans ce contexte, chercher la relation entre l’impertinence et le surréalisme, équivaut à rechercher une aiguille dans une botte de foin. Mais Iban n’en a cure : c’est par le biais d’un casting que ce documentariste venu de San Sebastian s’est mis en quête des personnes les plus impertinentes de La Louvière. «Des gens vrais, pas seulement des artistes», insiste celui dont la traduction du nom évoque Marcel Duchamp (Del Campo).
Des gens. Des lieux. Rendre la mémoire d’une ville. C’est le défi que s’est fixé Kristof Jakiela. À 23 ans, ce jeune flamand venu d’Overijse s’est penché sur les lieux qui gardent une trace du passé et la façon dont celle-ci s’entretient et se montre. Il voit le cinéma comme une succession d’instantanés sur des tranches de vie, sur lesquelles le pendule du temps s’arrête, de façon aléatoire ou intentionelle. Comme une image dans laquelle on se jette pour en ramener des souvenirs, ou des émotions. Ce qu’il a pu retenir de ces cinq semaines, c’est d’abord que les clichés qui prévalent sur la ville de La Louvière ne sont pas perçus de la même manière selon que l’on se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur de la cité. «Je dirais qu’il y a du pour et du contre. C’est un tout. L’un ne va pas sans l’autre. Mais contrairement à ce qu’on en a dit, j’ai pu remarquer assez vite que ça bouge ici».
Une fourmilière hors du temps
La cité des Loups est une fourmilière dans laquelle on peut vite se perdre, si l’on ne connaît pas la langue. Liga Gaisa, est Lettonne. L’obstacle principal de cette déjà productrice indépendante – elle a lancé sa société Airproductions – est la barrière de la langue. Mais ça ne l’a pas empêché de jeter un regard bienveillant sur cette ville inconnue. «C’est une ville qui essaie d’être attractive, qui essaie de lutter pour trouver sa place sur la carte du monde. Le jour de mon arrivée, c’était très bizarre, on m’a emmenée à la plage. Ce fut une grosse surprise de voir ce sentiment de liberté qu’éprouvaient tous les gens sur place. Je ne peux même pas imaginer cela dans mon pays», explique Liga.
Lorsqu’elle décidera de choisir le Parc Warocqué pour son documentaire, c’est avant tout pour le caractère «hors du temps» de ce lieu à la fois bucolique et empreint de mémoire. «Ce n’est que par la suite, par ricochet, que je fus informée de toutes ces histoires de violences qui concourraient à l’existence du lieu», formule-t-elle dans un anglais parfait. Et la voici confrontée avec l’un des paradoxes les plus prégnants de la cités des Loups : une ville à la fois belle et moche, inconsciente que ces balafres de violences dont elle est victime ne se guériront pas du jour au lendemain.
Une ville prisonnière de cette image qui lui colle au corps comme une salopette de détenu. Et pourtant c’est pure coïncidence si la cinquième réalisatrice choisie pour rejoindre cette résidence de films documentaires par l’Espace Dragone, ait décidé de se fondre dans le monde carcéral. Originaire de Seneffe, Sarah Hirtt, a reçu pour mission de tourner son documentaire dans la ville de Mons. La cité du Doudou, désignée ville amie, aura droit à son documentaire personnel chaque année, jusqu’en 2015. Mais il est intéressant de constater le parallélisme entre son sujet – qui a trait à la réinsertion après l’incarcération – et la volonté de la cité des Loups de sortir de ce carcan de ville industrielle paumée et sans ressource dont l’affublent ceux qui ne la connaissent pas.
La Louvière est en pleine transformation. Le regard que lui portent ses habitants est certes capital dans la volonté d’éclore vers un jour nouveau. Mais le regard des autres, à l’instar de ces cinq réalisateurs inconnus et intéressés venus des quatre coins de l’Europe, est essentiel pour lui fournir le chaînon manquant de sa nouvelle vie : l’impertinence de l’espoir.
Epilogue
Samedi soir sur la terre. Les gradins du chapiteau le Splendide s’emplissent de visages. Cinéastes, techniciens, acteurs et spectateurs de ces 35 jours de résidence cinématographique s’installent. La pellicule qui séparait jusque-là chacun d’eux s’est estompée. Tout le monde est sur le même pied pour observer le dernier round de ce Festival. 5sur5 réserve souvent des surprises, et cette édition n’y a pas dérogé. Avant la projection, les vainqueurs de la compétition belge de documentaires courts ont été désignés : Aude Verbiguié remporte le prix du public pour À nos terres, la chronique d’un couple d’éleveurs en Ariège; Maëlle Grand Bossi repart avec le prix du Jury pour Pêle-Mêle, qui offrait un regard sur la bouquinerie la plus connue de Bruxelles.
« Mais le public était là pour voir. Voir le regard nouveau porté par ces cinq cinéastes. Et les spectateurs n’ont pas été déçus. »
Ceux qui nous aident à tenir debout – Sarah Hirtt offre le témoignage de trois ex-détenus, dans leur difficile retour à la vie. Des histoires trop rares, auxquelles on ajoutera la forme, oppressante, d’une image carrée dans laquelle le spectateur est enfermé, presque malgré lui, comme emmuré vivant.
Ce qu’il restera de nous – Kristof Jakiela. Des photographies anciennes de maisons disparues par la construction du canal du Centre. Quand le passé s’efface au travers de l’inéluctable modernité.
Maison du Peuple – Frederik Arens Grandin. Immersion jubilatoire dans l’univers de Rudy et Maddy à la Maison du Peuple d’Houdeng-Aimeries, où humour et nostalgie côtoient réalité et sincérité des mots et des attitudes. Une jolie claque sur ces gens méconnus qui donnent vie à un quartier.
Douce Impertinence – Iban Del Campo. Le cinéaste espagnol organise un vrai casting (que nous avions déjà évoqué ici) pour un film imaginaire, dans lequel il bouscule les codes, joue avec ses acteurs et les interroge sur ce qu’est l’impertinence avant de brouiller les pistes et de nous offrir un OVNI d’humour et de second degré.
Bons Baisers de La Louvière – Liga Gaisa. Le parc Warocqué. Une voix off. Le film est comme le dos d’une carte postale que l’on envoie à des gens d’autres époques, d’autres lieux. Des gens que l’on a quittés, ou qui nous ont quittés. Comme un mot que l’on écrit dans le sable et qui s’efface quand la vague le surprend.
La promotion 2012 avait reçu pour thème l’Impertinence. À y regarder de plus près, les oeuvres fournies se révèlent aussi disparates qu’en hors-sujet. Mais finalement, n’est-ce pas cela le propre de l’impertinence ? Prendre le contre-pied de ce que l’on attend de vous.
Texte Fab.
Photos : Alexis Taminiaux