Pol Wasteels, Lignes de coeur, Lignes de gille

Pol Wasteels (10)Un lacet. Minuscule. Epais. Objet d’union, de réunion. Objet qui rapproche. Friand de nœuds et d’enchevêtrements, il représente la force. Objet de résistance, il est la preuve que nous ne sommes jamais plus forts que dans le groupe. Isolés, nous ne sommes rien. Rien que des fils, ténus, fragiles, cassants. Ensemble, nous sommes le cœur, le noyau, la tribu. Isolés, nous sommes la goutte; ensemble, nous sommes l’océan. Nous existons à travers les autres et par les autres. Nous sommes la vague qui déferle, la rivière qui coule, immuable, depuis les sommets enneigés jusqu’à l’embouchure du fleuve, pour rejoindre le brouhaha du monde.

Pol Wasteels ouvre l’œil du nourrisson dans le tumulte de la Seconde Guerre mondiale, le 17 mai 1940. Il exhale son premier cri à Dottignies en pleine évacuation. Exil éphémère. Quarante-huit heures plus tard, la famille réintègre ses pénates à La Louvière. Sans plus jamais les quitter.

L’affaire est dans le sac !
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Le destin de la «tribu» Wasteels et celui de la cité sont irrémédiablement liés. C’est «grand-père», Laurent Wasteels, secondé par son épouse, Aimée, qui fonde le commerce familial, au temps lointain où la cité n’est qu’un hameau à peine sorti des jupes de Saint-Vaast. Vers 1869. Un commerce de fournitures pour cordonniers. Il y fabrique les «tiges». Il n’est pas un cordonnier de la région qui ne se fournisse rue Sylvain Guyaux.

Fils de Zénobe et Madeleine, Pol grandit rue Vital Rolland. Zénobe Wasteels est maroquinier. Né au cours des grandes heures du premier conflit mondial, le 10 avril 1916, il est le troisième d’une famille de quatre. Dans son atelier, il emploie jusqu’à 30 ouvriers, attelés à la confection de sacs pour dames. Les productions se vendent dans tout le pays. Les lacets finiront par céder le pas à la besace. Sacs, bagages, bijoux de fantaisie et jouets deviennent la nouvelle activité familiale. Madeleine Campion est la fille d’un machiniste de chemin de fer et d’une vendeuse de tissus et soieries. Enseignante au Lycée royal, elle fera toute sa carrière à La Louvière. Le hasard veut que les bâtiments dans lesquels ils grandissent se trouvent l’un en face de l’autre, rue Guyaux. Quelques regards par-delà les fenêtres faîtières suffiront pour sceller la rencontre.

Petit Spirou devient Gille
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Pol se souvient très précisément du conflit. Traumatisme juvénile débordant du bleu de ses yeux d’abord ébahis de l’arrivée allemande, surpris ensuite par l’enlèvement de son oncle René en tant qu’otage de guerre, apeurés soudain par les bombardements qui obligeaient la population à se cacher dans les caves, écarquillés enfin par la vue des camions et chars américains traversant la ville libérée.

Au cours de ces années difficiles, le folklore entre en hibernation. Mais Pol entend parler des gilles partout où son oreille s’aventure. Fascination pour l’étrange et l’inconnu. Pour ces personnages légendaires sortis des histoires de famille et dont les ancêtres, côté maternel, avaient revêtus le costume. Lorsqu’après la guerre, un carnaval d’été est organisé en juin 1945, ses tantes lui confectionnent un costume de groom. Spirou, le héros de Rob-Vel, offre de nouvelles perspectives à la jeunesse depuis 1938. De « spirou », Pol en est un. Le costume lui va comme un gant. Il n’a pas cinq ans.

Pol Wasteels (13)En provenance du quartier de Baume, les Gilles remontent alors la rue Hamoir vers le Drapeau Blanc – haut-lieu de tous les événements louviérois – pour se diriger vers la place Jules Mansart. Pol est là, avec ses parents, pour apercevoir le cortège. Et après son passage, le petiot est littéralement transcendé. L’attraction de ces êtres polychromes le transforme, pétrifie son regard d’enfant. Le corps subjugé par ces vibrations, il succombe à la tentation de l’uniforme carnavalesque. Le premier Laetare post-apocalyptique, en 1946, concrétise cette envie au sein de la société des Boute-en-train, celle du célèbre D’jobri, dont il ne quittera plus les rangs. Ses 36 ans de présidence et 68 ans ! de participation (dont quelques-unes en tant que tamboureur) forcent aujourd’hui le respect.

Un gros bagage

Pol Wasteels (6)Autour de ce noyau se construit une véritable dynamique collective. Héritage génétique familial encore renforcé à la grande époque des voyages Wasteels. En 1952, la société, spécialisée dans le bagage, écume les offices de Tourisme afin d’y récolter des affiches de voyages. Les charbonnages s’emplissent d’immigrés italiens par centaine, par milliers, transitant par l’agence pour acheter leurs valises et s’envoler pour le Canada, notamment. «Dans un premier temps, nous nous occupions des formalités.» Les voyages de vacances n’en sont qu’à leurs balbutiements. La firme se charge alors de tous les déplacements qui peuvent permettre aux immigrés italiens établis sur les bassins charbonniers de rejoindre leurs proches restés au pays. Les familles espagnoles, portugaises, yougoslaves, turques en profiteront par la suite. Les voyages Wasteels seront à l’origine de tarifs de groupes préférentiels : le billet individuel de groupe pour travailleurs (BIGT) et pour étudiants (BIGE).

Les arcanes du groupe n’ont plus de secret pour Pol dès l’âge de 14 ans. Hors saison, il accompagne les trains spéciaux, en tant que responsable ; l’été, il prépare les commandes au comptoir. Il gravit les échelons les uns après les autres : agent de comptoir, chef d’agence, directeur commercial et enfin directeur du groupe. Lorsqu’il remet la compagnie, en 2001, les voyages Wasteels comptabilisent plus de 3,8 millions de voyageurs par an, 192 bureaux et 1.100 employés dans 16 pays d’Europe. Une partie des agences ont été reprises par le voyagiste Thomas Cook. Pol Wasteels se définit aujourd’hui comme un retraité actif, partagé entre une société immobilière et une autre de location d’accessoires folkloriques, où à ses heures perdues, il confectionne apertintailles et chapeaux de gilles.

Contacts humains

Pol Wasteels (1)Les pérégrinations de Pol au sein de l’élite folklorique louviéroise et de l’entreprise familiale construisent sa personnalité. Altruisme. Empathie. Fierté. Le sport de compétition (qu’il s’agisse de foot ou de natation au sein de l’ENL) y ajoute le goût des contacts humains. Et de la rencontre. C’est d’ailleurs entre deux mouvements de crawl que Pol Wasteels fait connaissance avec son épouse, Liliane, alors championne de Belgique. Avec les gens qu’il croise, Pol conserve de bons contacts. Comme autant de lignes de cœurs sur une ligne de vie, contribuant à maintenir une cohésion générale même quand l’une d’elle disparaît.

Le credo de Pol Wasteels se trouve personnifié dans une sculpture de Robert Michiels (le sculpteur sera honoré par le Musée Ianchelevici  en septembre 2013), figurant un groupe de gilles à chapeaux. Stylisés. Réalisés à l’aide de «bouts de ferrailles» retravaillés. Ils symbolisent la chaleur de la foule pour laquelle le Louviérois nourrit un appétit gargantuesque, autant que pour le «beau plat» de son enfance. Cette purée de pommes-de-terre, chicon, béchamel et oeufs mollets cuisinés par sa maman était le liant de sa jeunesse. Celui des souvenirs fraternels avec Jean, Yves et Monique.

Pol Wasteels (7)Sans doute est-ce la raison pour laquelle le foyer reste aujourd’hui encore l’endroit préféré de Pol ? Après tout, La Louvière n’est-elle point une ville étrange que l’on rêve de quitter mais dans laquelle l’on revient sans cesse, attiré par ce je-ne-sais-quoi de singulier qui fait sa personnalité plurielle ? La Louvière [soupir]. Ville d’ensembles complexes, enchevêtrés, comme deux poings qui se serrent, l’un dans l’autre, l’un contre l’autre, l’un sur l’autre. Ville de rencontres dans laquelle l’on peut vivre seul sans l’être jamais tout à fait. La ville où l’on se sent jamais mieux que chez soi. Parce qu’on y est chez soi.

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Texte : Fabrizio Schiavetto
Photos : Alexis Taminiaux

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