Guy Dewier, bouillon de cultures

Guy s'est imprégné de sa terre natale

Une trajectoire. Un destin. Celui que l’on se façonne, que l’on suit, auquel on ne déroge pas. Une courbe. Motte de terre que l’on alimente par couches successives, substrats de vies antérieures, composés de succès et d’erreurs; de joies, de malheurs; de coups de chances et de coups de sorts. Un terril. Amas de terres informes, récoltées par l’homme dans les galeries charbonnières de la région du Centre. Elle commence là, la ligne de vie de Guy Dewier, au pied d’un de ces monstres issus des entrailles du monde. Celui qu’à La Louvière, ils ont appelé terril de la Blanche Cavée. On peine à y voir des enfants jouer, se barbouiller de houille et de rêves. C’est là pourtant, sur ses flancs, au milieu des étangs et des paons, que ce journaliste s’est imprégné de sa terre natale. De son patrimoine.

C'était un quartier pauvre. Un quartier de houilleurs.

C’était à Haine-Saint-Paul, près de la place Caffet. Un quartier de houilleurs. Un quartier pauvre. Celui où arriveront les premiers émigrés flamands au rang desquels figure son grand-père venu de Grammont. Les Dewier étaient quatre frères. Son grand-père était chef porion au charbonnage du Houssus. Sa grand-mère est originaire de Boussu-Bois. « Mon père, Roger, a chopé la polio à 17 ans. Cordonnier pendant la guerre, il a travaillé dans la chimie aux cimenteries d’Obourg et aux Laminoirs de Longtain. »

« Il y a aujourd’hui plus de Dewier en région du Centre qu’à Grammont. »

Pas l’âme d’un aventurier

La maman de Guy est originaire de Darfo Boario Terme, dans la région de Brescia (Italie). « Issue d’une famille de 13 enfants, maman avait les mains déformées d’avoir transporté les ballots de coton dans l’usine où travaillaient ses proches. J’ai toujours là-bas de la famille. » Virginia débarque en 1955 en Belgique pour le mariage de son frère, Pierino. Il « zio ». Parmi les amis de ce dernier : un certain Roger Dewier, dont Virginia s’éprend. Le petit Guy naît en 1957, au château d’Avondance (l’ancien château Coppée), dans les bas quartiers d’Haine-Saint-Paul. De cette union naîtra aussi Anne-Marie, employée chez Duferco depuis 30 ans. Le trio se complète par une demi-soeur, prénommée Jeanine.

Son coeur balance entre la mécanique auto et le journalisme

Se rappelant ses modestes origines, le Hainois tire une énorme fierté d’avoir pu se mêler à des personnages tels que les Jean Louvet, André Balthazar, Charles Demeester, ses professeurs à l’Athénée de Morlanwelz. Il y développera une aptitude certaine pour le latin et les langues, en particulier germaniques. Ensuite, balancé entre l’envie d’étudier la mécanique automobile et le journalisme, il monte à Bruxelles tenter l’aventure universitaire, après une année à Mons. « Mais je n’avais pas l’âme d’un aventurier ».

Cette escapade bruxelloise se passe relativement mal: il quitte le domicile à l’âge de 19 ans, doit travailler pour payer ses cours, fait une dépression et aussi « de grosses conneries qu’il ne vaut mieux pas expliquer » – il en garde une aversion pour les sirènes de police, Ndla. « Puis mon père est décédé et je suis revenu. J’étais déraciné. Si j’étais resté là-bas, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. Cela me permet de comprendre les gosses qui sont borderline ».

Une de ses citations favorites :
« J’adore les fêlés, car ils laissent passer la lumière »
[Michel Audiard]

C’est arrivé près de chez lui…

Une rencontre qu'il qualifie de décisive

Son retour au pays, en 1985, coïncide avec une rencontre qu’il qualifie de décisive, avec le journaliste Marcel Leroy, alors chef d’édition des éditions belges de Nord Eclair. Un individu dont la plume prolixe et sincère se nourrit d’humanisme comme la rivière, du torrent. « Marcel a cru en moi. Le libraire du coin était le personnage le plus important au monde, disait-il. Quand on est journaliste on rêve de terrain, de reportages à l’étranger. Sous son aile, j’ai vraiment découvert la locale. Je sais maintenant que c’est à côté de chez soi que les plus belles histoires se passent. »

Un sentiment conforté par la lecture d’un texte de Gabriel Ringlet, ancien recteur de l’Université Catholique de Louvain (UCL), le Mythe au milieu du village, qui place véritablement l’information de proximité au centre de toutes les attentions. Le journaliste effectue ensuite un passage à Vers l’Avenir. « Mais je n’étais pas suffisamment respectueux du Pape pour rester », précise-t-il, le sourire en coin. L’année 1987 voit entrer Guy Dewier au sein de la rédaction d’Antenne Centre. Il n’en bougera plus. Là, il réalise des portraits de gens simples et connus, à la mentalité basée sur un humour frondeur dont il est lui même particulièrement investi en permanence. Deux raisons à cela.

La fin des années 90 une période difficile

S’il trouve la joie dans la paternité avec la naissance de ses garçons, Adrien (25 ans) et Lionel (21 ans), dont il suit aujourd’hui la croissance à distance, Guy Dewier connaît une période de vaches maigres à la fin des années nonante. Le décès de sa maman à laquelle il est très attaché, en 1998, puis la séparation avec son épouse, l’année suivante, le confinent dans un désespoir profond et une passe difficile dont il ne sortira que par la grâce de l’humour. « L’humour noir, c’est la politesse du désespoir, disait Boris Vian, (la citation est d’Achille Chavée, merci à Yvon pour la précision, NDLA). »

Chevalier de la Couille de Suisse

Fier de son patrimoine, il monte en 2006 un projet événementiel qui mêle fanfare, canal et ascenseurs. Trois ans plus tard, l’émoi populaire suscité par l’affaire Royal Boch et l’indignation marquée des survivants de la Faïencerie, l’incitent à organiser une journée de solidarité en leur faveur. Mais l’autre tournant de son existence, c’est cette idée folle qui naît, alors qu’il se trouve avec la troupe humoristique des Insolents, en territoire helvète : imaginer une confrérie qui ferait honneur à la Couille de Suisse, ce plat – pas si oublié que ça – que dégustaient des familles entières de Louviérois lorsque la viande ou les légumes manquaient.

La vidéo de Guy Dewier

Guy Dewier sera ainsi nommé Chevalier de la Couille, défenseur de la pâte, veuve sans le beurre et orpheline sans sa cassonade. Trois ingrédients qui refondent par magie les liens entre des individus aux destins différents, mais aux cultures semblables.

Aaaah cette nourriture qui unit les peuples. D’ailleurs, l’homme lui-même avoue le secret de son embonpoint. D’abord s’il est un « si bel athlète », c’est parce qu’il « se nourrit de couilles ». Ensuite, c’est parce qu’il y a « deux personnes en lui », un Belge et un Italien.

Je ne sais pas chanter. Je chante faux. Je tiens ça de ma mère

Et surtout, ne lui dites pas que cet Italien est Umberto Tozzi, malgré la ressemblance troublante, car Guy l’affirme : « je ne sais pas chanter, je tiens ça de ma mère ».

Ses enfants exploiteront rapidement ce filon savoureux pour tourner leur Umberto de père en bourrique. « Mes enfants avaient des lits superposés. Le grand, qui a 4 ans de plus, dormait au-dessus. Le petit devait avoir deux ans. Je m’asseyais près de lui et lui chantais une berceuse pour l’endormir. Le grand, bien sûr, râlait : mais tais-toi, tu chantes faux. Le petit, lui, savait que cela ennuyait son frère. Il réclamait alors : encore papa… »

Cultiver son potager

Souvenirs d’enfants. Souvenirs enracinés dans la terre. La mémoire est un potager dans lequel se cultive le meilleur comme le pire, où ce qui pousse importe peu, pourvu que les histoires soient vertes, mûres, riches et fraîches. Un potager comme celui que Guy aime cultiver aujourd’hui. Depuis que la contrainte paternelle est devenue un souvenir d’enfance apprécié, jamais les tomates, les choux, les salades, les poivrons et les carottes n’ont paru si légers à son goût, ni si chers à son coeur. Le poids du passé, la rigidité des mentalités, voilà ce qui n’existe pas dans la ville de ses pensées.

Le poids du passé n'existe pas dans la ville de son coeur

Une ville qui reste à créer, malgré ses ratures, ses égratignures, ses balafres parfois. Une ville où la fête ne doit pas cacher la misère qui subsiste encore aujourd’hui au détour d’une rue, dans une charrette à bras que pousse un garçon à mitraille, là-bas, dans le quartier d’où il vient.

Parce qu’elle est là cette ville, dans les pas que l’on fait les uns après les autres, les uns vers les autres. Quand la différence se mue en proximité. Quand l’éloignement n’est qu’une vision de l’esprit dictée par les préjugés et le mépris. Quand ce qui nous unit est bien plus qu’un plat de tradition. Quand la ville est un véritable bouillon de cultures dans lequel on aime goûter à l’humilité, la conserver, et l’entretenir.

Texte : Fabrizio Schiavetto
Photos : Alexis Taminiaux

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