Kattalin Bidegain, Sur la route

Programmée pour voyager

Voyages. Sources de toutes cultures, de toutes civilisations. Entre monde connu et inconnu, répondent au besoin primaire de l’homme. Soif de découvertes. Voyager. Aller là où personne n’est jamais allé. «Boldly go where no man has gone before», clamait dans les étoiles le créateur de Star Trek, Gene Roddenberry. Voyager. Partir à la recherche de l’autre. À la recherche de soi-même, de son Graal intérieur, de ce qui nous pousse à aller de l’avant. Peu importe le temps, seul le trajet compte, et ces rencontres glanées hors du temps, des poncifs ou des préjugés que l’on nous inculque. Voyager. Partir à la rencontre de ces histoires qui façonnent les mondes, les univers. Partager au delà des villes, au-delà des frontières, au-delà de nos limites.

Programmée pour voyager

Kattalin [prononcez Katialin] Bidegain a poussé son premier cri à Paris, en 1986. Dans le VIIIe. Arrondissement «chic» à proximité du parc Monceau. Entre une maman aux origines européennes et un paternel mi-Argentin mi-Basque, Kattalin se dit «génétiquement programmée» pour voyager. Non seulement au travers du métier de ses parents, tous deux journalistes. Mais aussi au travers des nombreux déménagements qui concourront à sa jeunesse, surtout dès le moment où ses géniteurs se séparent. Elle a alors 11 ans. «J’ai toujours vécu à Paris, sauf un an», raconte-t-elle. Neuilly-sur-Seine, Courbevoie avec sa mère, Montparnasse avec son père, Pau avec ses oncles et tantes; les destinations s’enchaînent, auxquelles s’ajoutent le XIIe arrondissement, Saint-Germain… et encore Londres.

Incollable sur l’Inde

Mais c’est aujourd’hui dans le XIIIe que Kattalin a élu domicile, près de la Butte-aux-Cailles d’où elle peut caresser d’un regard les toits de la ville. Son quartier préféré. Entre histoire et modernité. «Mon quatorzième logement en 25 ans», sourit-elle.

«Mon rêve dans la vie, c’est passer ma
vie à voyager et étudier».
Kattalin Bidegain, globetrotteuse

Dans cette vie nomade, le virtuel rejoint le réel. De ses parents, elle s’imprègne des centaines de photos, des anecdotes et des récits ramenés de leurs voyages, dont plusieurs expéditions dans l’Himalaya. Incollable sur l’Inde, Kattalin rayonne. Démographie, culture et anthropologie des populations du Nord et du Sud, aucun détail ne lui échappe. Réminiscence de discussions d’adultes où elle cherche à comprendre le feu qui anime ses parents. Curiosité naturelle qui se mêle aux souvenirs de ses nourrices Padmini, la Sri Lankaise, jamais revenue d’un voyage au cours duquel elle fut mariée de force; et Arlette, la Mauritienne, dont elle continue à prendre des nouvelles. Une éducation qu’elle complète par ses propres périples à travers l’Europe et un goût pour la chose culturelle sous toutes ses formes.

La vie est trop courte

Naturellement speedée, Kattalin se montre impatiente lorsque l’émotion la chatouille. En relations humaines, elle confie son attrait pour les gens passionnés et passionnants, pour les parcours atypiques. L’ennui ? Très peu pour elle. Le genre «marmotte», c’est pas son truc. Les principes qu’elle arbore aujourd’hui fièrement, elles les a cueillis chez son meilleur ami, Iago. Anti-conformisme, liberté totale, sans entrave. Fauve et rebelle, rien ne saurait la retenir. Ce qui ne l’empêche pas de se montrer pragmatique et optimiste. Oserions nous prétendre que si l’angoisse devait la tarauder, cette femme de tête s’échinerait à ne pas la montrer. Optimiste. Définitivement.

Les gens se construisent des problèmes

«Les gens se construisent des problèmes, à longueur de temps», confie la journaliste globetrotteuse. «Cela rend les gens malheureux d’essayer de correspondre à tout prix à ce que les gens attendent de soi. C’est épuisant. C’est bien plus intéressant de se construire soi-même. On dépense la même énergie pour un résultat beaucoup plus sain et appréciable.»

Partir à l’aventure. Sortir de ces rails qui vous enferment dans une voie prétendument inéluctable. Prendre un aiguillage hors du temps, sans forcément faire de lui un ennemi. Sans vouloir lui échapper, ni le rattraper. «J’essaie d’abord de ne pas le gâcher, ce temps», raconte Kattalin. La vie est trop courte et la jeune femme le sait. Avec sa maman et son frère José-Louis, elle connaît un grave accident de la route à l’âge de 12 ans, dans lequel son grand-père perdra la vie. Elle doit son salut à trois donneurs de sangs différents. Deux mois en réanimation et un en pédiatrie lui font prendre conscience que la vie est brève et qu’il faut se hâter de faire les choses avant que le destin ne vous frappe. 180 km/h dans un arbre, voilà qui vous donne une énergie cinétique pour le restant de vos jours.

Des visages, des figures

La bougeotte dans le sang

La bougeotte, Kattalin a ça dans le sang. Et, depuis l’école où elle fréquente des cours d’anglais et de français, la multiculturalité aussi fait partie de son quotidien. C’est dans ce contexte qu’elle s’inscrit dans le réseau du couch surfing. Le principe est simple : fournir de l’hébergement gratuitement à des gens de passage, sur un bout de canapé. Rencontres. Contacts et vues différentes sur le monde. Qu’ils viennent de Madrid ou de Taïwan, du Chili ou de Grenoble, ces invité(e)s laissent inévitablement leur empreinte sur le quotidien de la jeune femme. De la culture à la cuisine, tout est motif d’apprentissage et de brassage. C’est là qu’elle se sent le mieux : au milieu des autres.

« Peu importe l’objectif, seul le chemin compte »
J.R.R. Tolkien, écrivain.

Dans son appartement, un mur y est totalement dédié. Depuis trois ans, elle y récolte les traces des passages de ses hôtes. «J’ai décidé que toute personne qui passait chez moi laisserait un mot, un dessin, au crayon à papier. Du coup, la première chose que l’on voit chez moi, c’est le mur du salon, couvert d’écritures, du sol au plafond.» Les mots des amis proches, de sa famille, se mêlent à ceux d’inconnus, dans un kaléidoscope de langues et d’idéogrammes à la fois brouillons et chaleureux. Mots d’humour, d’amour et d’amitiés. Instantanés de rencontres. À lire à l’endroit. À l’envers. À l’aide d’un miroir. Ou la tête en bas. Comme un gigantesque livre d’or à portée de regard.

Les tribulations de Katt

Sa première hôte, Taïwanaise, lui offrira une magnifique révélation. Impossible de sortir indemne du récit d’un périple de six mois en Australie qui se mue en tour du monde. Et de germer chez la Parisienne une idée folle : pourquoi ne se lancerait-elle pas aussi dans cette aventure ? Un projet dans lequel elle s’impliquerait corps et âme. Une restructuration dans sa boîte et l’annonce d’une fermeture prochaine la convainquent que l’avenir se trouve ailleurs. Le monde de l’édition lui tend les bras. Mais l’envie de quitter Paris est plus forte. L’idée de parcourir le monde à la découverte d’initiatives solidaires et underground, la titille. Enfin un défi à sa taille.

Ne rien laisser au hasard

16 pays. 55 villes. Deux ans de voyage résumés dans son blog «kattswandering.wordpress.com». Course au subside, budgets prévisionnels, recherche de fond. Tout cela lui prend une année complète. La jeune femme n’a rien laissé au hasard. Y compris le crowdfunding, avec la possibilité pour les internautes de participer au financement du projet en échange de leur nom au générique d’un webdocumentaire qu’elle réalisera ou simplement d’une lettre au Père Noël, qu’elle lui remettra lors de son passage en Laponie.

«Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’Humanité »
Neil Armstrong, astronaute.

Voyages. Au-delà du temps. Au-delà de la vision. Comme ces explorateurs et autres découvreurs, inconscients d’écrire l’Histoire avant d’avoir posé leurs traces sur le sable d’îles lointaines et désertes. La liberté ne souffre pas de limites. L’Humanité a besoin de défis pour se relever. Au gré de ses errances, l’homme puise cette faculté d’aller vers l’avant. Sans se retourner. Un pas devant l’autre. Un petit pas. Mais de grandes traces…

Texte Fab
Photos : Patricia Schlaepfer

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