Nicolas Lesire, une bulle au quotidien

Il faut tenir en haleine, déborder des cases...

Coups de crayon sur une page blanche. Premiers traits de l’existence. Esquisse. Un trait, puis deux. Tantôt légers. Tantôt appuyés. A main levée, il n’est pas aisé d’être parfait du premier coup. Dans la vie, c’est comme ça. L’on procède par essais et erreurs, jusqu’à la touche finale. On colore. On noircit. On efface. On déchire. Parfois on gomme, on recommence et on s’applique. L’encre de Chine vient à la fin. Sur des traits que l’on croit sans relief. À tort. L’imagination, la connaissance n’ont pas de limites, hormis celles que l’homme se crée. Sur notre papier grammé du quotidien, nous attendons de prendre forme, aux yeux des autres. Il faut déborder des cases, remplir les phylactères, tenir en haleine. Exister.

Nicolas Lesire rompt la case maternelle le 15 avril 1976. A Leuven. Ses parents y terminent leurs études. Ils sont tous deux Louviérois. Elle, Colette Dupont («avec un t», précise-t-il), de La Croyère. Enseignante en français et en Art dramatique. Lui, Etienne Lesire, de La Louvière. Avocat dans un célèbre cabinet – Vanquaele – avec vue sur le parc Warocqué.

Une affaire de famille

La musique a pignon sur rue

Chez les Lesire, la musique a pignon sur rue. De père en fils. De génération en génération. Le grand-père Joseph, a repris le magasin de disque ouvert rue Sylvain Guyaux depuis les années 30. Instruments, partitions, cahiers de solfège, vinyles : on y trouve tout pour écouter la musique et pour la faire. Jusqu’à l’avènement du cd, au début des années nonante qui sonnera la fin d’une époque… et du négoce. C’est pourtant là, entre les cuivres et les bois que Nicolas découvre la musique, dès l’âge de dix ans, bénéficiant de l’émulation paternelle. «J’ai commencé parce qu’il y avait une trompette à la maison. Papa en jouait. Après, je suis passé aux percussions.»

Nicolas asticote les cuivres dans un groupe estudiantin

Un virus toujours bien présent aujourd’hui, même s’il a pris une forme moins conventionnelle. Quand il ne roule pas des tambours dans les mariages ou ne dépanne pas les copains en période de Carnaval, Nicolas asticote les cuivres et les percussions au sein d’un groupe de rock estudiantin montois, les Blancs Mouchons. Là, le musicien se plaît à mélanger allègrement les standards du folklore étudiant avec des tubes de la pop anglaise ou de la variété française. Imaginez «Jeanneton prend sa faucille» sobrement mixé avec «J’ai demandé à la lune» d’Indochine pour former un improbable «Jeanneton prend sa fausse lune». Nicolas y manie en outre souvent l’art de la blague dite foireuse, à tel point que ses collègues se voient parfois contraints de le baîllonner façon Assurancetourix. Un univers à mille lieues de l’ensemble vocal et instrumental «Le Laetare» dont il rejoint un jour les rangs et de celui des «harmonies» dont il s’imprègne aussi souvent qu’il le peut.

L’aventure, c’est l’aventure

La facilité s'efface au profit des aspirations

Malgré un parcours scolaire classique, le petit Nicolas n’a de cesse de s’imprégner de découvertes et de différences. En primaires, à l’école paroissiale du Centre. En Humanités, à l’Institut Saint-Joseph. Il évite de peu le Collège de Binche où sa maman enseigne. Plus par choix que par crainte. La proximité maternelle est un trop tentant terrain de connaissance. La facilité s’efface au profit des aspirations. Ce qui ne l’empêche pas de suivre auprès d’elle des cours de théâtre et d’y nouer quelques liens. Deux écoles… La troisième, sera la rue. Il lui préfère largement ses dangers au confinement du parc Warocqué pourtant tout proche ou même à l’exiguïté du petit jardin familial, rue du Moulin, dans le quartier du Hocquet, où vivent ses parents.

Trois garages, côte à côte, servent de quartier général au Comité Organisateur du Garage (COG). Imagination débridée de gamins en quête d’aventures, à l’image du Club des cinq, arborant leurs pin’s Reebok, s’affrontant au ping-pong avec les voisins, s’essayant aux sketches ou se cachant dans les couloirs de l’ancien hôpital civil abandonné. Un esprit de cocagne qu’il retrouve chez les Scouts de La Louvière où, arborant le totem du vaillant Muscardin, Nicolas fera ses preuves pendant une dizaine d’années. Il intègre ensuite le staff du Patro, où chaque dimanche, il accompagne les jeunes au sein des locaux de l’Institut Notre Dame de la Croix, détruit par un incendie, en 2007.

La video de Nicolas Lesire

Mon père, ce héros

Un air de Boule devenu adulte

Ce qui frappe, en observant Nicolas, ce n’est pas le visage oblong, parsemé de taches de rousseur. Ni le nez, un peu arrondi, juste parfait pour y poser une paire de lunettes rectangulaires. Encore moins le cheveu épais, légèrement ondulant, roux, qui lui donne un petit air de Boule devenu adulte. Non, ce qui frappe, ce sont les yeux. Tantôt intrigués. Tantôt rieurs. Ils transpirent de tristesse, de fierté et de reconnaissance à l’évocation du père, parti trop tôt, trop vite, comme on foudroie la vie un premier janvier à minuit. Coup d’arrêt sur une relation en reconstruction. Panel d’émotions involontaires. Souvenirs d’un petit garçon de trois ans, à qui son père annonce la naissance de son frère cadet, Thomas. Le plus lointain souvenir dont Nicolas se souvienne. Les autres remontent ensuite comme l’eau d’un puits creusé à la main, dans le sable.

La source de son amour pour la BD n'est pas un mirage

La source de son amour pour la Bande Dessinée n’est pas un mirage. Elle sourd, bouillonnante, aux pieds du bureau de son père. Oasis dans le désert. Caverne d’Ali Baba, dans laquelle Nicolas s’enferme chaque semaine en quête de ses héros. Héros de chair. Héros de papier. Il fait connaissance avec l’univers de Buck Danny, de Blueberry – la seule collection qu’il emporterait sur une île déserte –, de Spirou. Le jeune garçon entre avec Achille Talon dans le Neuvième art tel que l’aime son père. Il n’en sortira plus. Cerise sur le gâteau, le diplôme de philologie romane dont il se ceint en 1999 à Louvain, est ponctué par la publication de son mémoire, étonnante incursion dans l’univers féminin de Thorgal.

Phylactères

Le Louviérois distille des conseils

Après les études, l’enseignement du français et de la géographie n’apportent pas à Nicolas les apaisements qu’il attend. Il trouve refuge dans ce qui devient vite son lieu préféré, sur la place communale, chez Bédébile. Avec JiPé Mascherin, dans une autre caverne aux mille trésors, le Louviérois distille ses conseils de bédéphile averti aux visiteurs en quête de belles planches. Il rédige des chroniques, avant d’être répéré par la librairie BD World où il s’installe à Mons en 2006, le jour de ses 30 ans. Il s’y fait d’abord une place en maniant le balai, avant de prendre son quart à la caisse comme une vigie observant le large, maudissant malgré lui l’horripilante sonnerie des portiques de sécurité, tout en appréciant chaque heure passée à vivre de sa passion.

Suivre sa propre trajectoire

Vivre. Comme une ville qui se dessine et s’anime, un trait après l’autre, en suivant sa propre trajectoire. Rue après rue. Quartier après quartier. Souvenir après souvenir. Une ville où chaque vie est un livre ouvert dans lequel les personnages nourrissent leur histoire, imaginent leur scénario idéal. Maîtres de leur destin. Héros sans auteur. Bondissant de case en case, de page en page, quel que soit le sens de lecture. Prêts à sortir de leur bulles. Pour vivre pleinement leurs émotions, leurs passions et leurs déchirures. Exister.

Texte : Fabrizio Schiavetto
Photos : Alexis Taminiaux

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