Richard Gilmont, des visages, des figures

Une seul regard et c'est la vie qui s'immobilise

Ainsi, la beauté naquit d’une fontaine. Sentiment subjectif d’une vision fugace, un mirage, quelque part entre l’éternel et l’éphémère. Fruit des amours entre l’état d’esprit et l’humeur du moment. Perchée au bord de la vasque d’eau claire, une femme, nue, nous fixe, insistante; presque inconsciemment, elle interpelle notre capacité à nous émouvoir des belles choses, attire notre regard. Mais lorsque l’on tente de s’accrocher au sien, elle paraît distante, froide, sans vie, immobile. Statue de sel pétrifiée par quelque sort. Encore un coup légendaire de la Méduse… Un seul regard et c’est toute une vie qui s’immobilise devant nous. Instant d’éternité figé dans le « petit granit ».

Les mains blanches, pâtinées et râpées par le labeur

Nous sommes à Saint-Vaast. Derrière la magistrale pièce d’eau, vit un vieux monsieur. L’homme est tailleur de pierre, comme ses parents et ses grand-parents avant lui. L’évidence même, pour ce natif du pays de la pierre et des carrières, qui a toujours su quelle serait sa destinée. Richard Gilmont est né à Soignies, le 10 mai 1937. L’attirante naïade est son oeuvre. Casquette vissée sur un crâne poli, visage stoïque, il offre au visiteur le regard humide des gens à l’émotion affleurante, à moins qu’il n’ait été soumis à une trop longue exposition à la poussière. Ses mains blanchies, pâtinées et râpées par des années de labeur, semblent sortir d’une palette de niveaux de gris attendant leur pigmentation prochaine.

Au travail à 14 ans

"J'étais toujours le premier"

Lancé dans le bain dès l’âge de 14 ans, il apprend son métier à la carrière Rombaut-Roland où travaillent quelques proches. Il suit déjà depuis deux ans les cours de l’école industrielle de Soignies, section modelage, sculpture et gravure. Une période dont il se souvient avec plaisir. «J’étais toujours premier.» À 18 ans, il se soumet à la hiérarchie militaire, d’abord à Ostende, puis à Chièvres, avant d’obéir aux ordres de plusieurs patrons carriers. À l’époque, ses parents déménagent souvent. Mignault, le Roeulx, Houdeng figurent parmi ses lieux de résidence.

Mais lorsqu’il met les pieds à La Louvière, dans les années soixante, Richard Gilmont en est certain, il ne quittera plus l’entité. C’est là que naîtront ses enfants, Pascal et Murielle. Il est engagé sur un chantier de tailleur de pierres en bâtiment. Dans le quartier de Bouvy. «On gagnait bien sa vie à l’époque. Plus que maintenant. Il y avait moins de taxes. Et cela même si entre 1960 et 1975, on a connu trois grandes crises. La plus importante, en 1968, a duré sept semaines. On était tellement malheureux à l’époque qu’on allait porter des vidanges au magasin pour avoir un pain»

le folklore ne fait pas le poids face à l'attrait de la pierre

Passionné par le métier, Richard met tous ses hobbys entre parenthèses. Il revêt bien le costume du Gille pendant quelques années, à Houdeng, puis à La Louvière, chez les Commerçants. Mais il raccroche l’apertintaille et les sabots à 27 ans : le folklore ne fait pas le poids face à l’attrait de la pierre. À l’âge de 25 ans d’ailleurs, il s’est lancé dans l’entrepreneuriat. Devenu indépendant, Richard reprend un chantier de tailleur de pierre à Jolimont. «C’était rue Saint-Alexandre, en face de l’école. On faisait les restaurations, les porte d’entrées, etc. On a même travaillé à la restauration de l’église Sainte-Gudule. C’était un chantier abandonné que tenait un vieil homme. Lorsque je suis arrivé, des moutons paissaient l’herbe sur le terrain. Je pense qu’aujourd’hui encore mon nom figure sur un panneau près du garage automobile voisin.»

La passion des fontaines

La plupart de ses souvenirs ont trait au travail

Il se souvient de ces dimanches, où il se rendait à la pêche aux clients et prenait avec eux l’apéro, au café de l’hôtel de ville à Saint-Vaast. Tous ses meilleurs souvenirs ont trait au travail ou presque. L’événement qui l’a sans doute le plus marqué, est le décès de son frère, Jean, au chevet duquel il est resté pendant trois ans, pour le soigner. Et puis celui de son grand-père paternel, qui travaillera jusqu’à l’âge de 78 ans, sans prendre sa pension. «Je voudrais battre son record de longévité», rit-il.

Pendant les mois d'hiver, il sculpte les fontaines

Après s’être entièrement dédié à ses chantiers pendant près de 45 ans, Richard prend sa retraite à 60 ans. Il ne s’imagine pas rester les bras croisés. «J’avais peur d’être un cas administratif», avoue le sculpteur. Après 4 à 5 mois d’inactivité, il se remet au travail, dans son atelier, au sous-sol de sa maison à Saint-Vaast. Désormais, il sculpte divers objets en pierre bleue. Outre des dauphins qui montent la garde dans le salon, sa maison et son atelier sont remplis de ses créations : ici deux boîtes aux lettres monumentales, là un bas-relief égyptien, plus loin la statuette d’un mineur, et toujours en phase de création, le buste d’une dame décédée qui sera placé sur sa tombe. «J’ai commencé avec les dauphins. Ensuite, je me suis spécialisé dans les métiers d’antan. Le tailleur de pierre est un autoportrait. Je vais bientôt me lancer dans la confection d’un joueur d’orgue de barbarie.»

L'oeuvre dont il est le plus fier

Pendant les mois d’hiver, il sculpte des fontaines. La première qu’il a réalisée, garde depuis plusieurs années l’entrée du camping Thalassa à Bredene. On peut encore observer une nymphe, chez un médecin de Trivières. Et puis, celle qui accueille les visiteurs, devant sa maison. Elle a été baptisée Clara, en hommage à la compagne de Richard. L’oeuvre dont il est le plus fier, est sans doute le buste de Toutankhamon, qu’il a mis deux mois à réaliser, en travaillant sept jours sur sept, à raison de sept heures par jour. «Je me suis rendu à la bibliothèque de La Louvière, et j’ai vu cette image. Ce qui m’a fasciné, ce sont les détails.»

La vidéo de Richard Gilmont

L’homme et la pierre

Dans la région de Saint-Geniez, une foule de pierres écrites racontent, hors du temps, les vies, les morts et les rencontres de bergers ou de voyageurs, célèbres parfois, anonymes souvent...

Les pierres écrites...

Certains disent les pierres dotées d’une âme. Dans les Alpes de Haute Provence, à Saint-Geniez, près de Forcalquier, les pierres ont un visage. Extérieurs abrupts. Lignes dures. Crêtes affûtées. Et pourtant, dans ces visages que rien ne semble ébranler rebondit l’écho des légendes. Un caillou qui ricoche sur l’eau pure. Un enfant qui lance un galet. Une silhouette qui s’avance dans la mer. Souvent, les objectifs que l’on se fixe ont la couleur des rêves.

Pour un peu, on s’imagine cette statue immobile prendre vie dans une fontaine sans bords. Asséchée, assoiffée, blanchie, on la voit d’abord tremper doucement ses pieds dans l’eau claire pour s’y habituer, s’avancer prudemment jusqu’à la taille, avant de s’immerger totalement pour nager vers le large.

Il aura suffi d'une fontaine

Il suffit d’une goutte d’eau pour rendre à la pierre sa couleur originelle, en redécouvrir les aspérités, distinguer à nouveau ses moindres détails. Il aura suffit d’une fontaine à Richard Gilmont pour redonner à sa vie une forme brute et originelle. Chaque jour, il la façonne à son rythme, cisèle, boucharde, meule ou polit. Quelles que soient nos racines, où que l’on aboutisse, il y aura toujours une petite goutte d’eau pour nous ramener à ce qui fait de nous ce que nous sommes. Et toujours des pierres, pour raconter nos légendes.

Texte : Fabrizio Schiavetto
Photos : Alexis Taminiaux

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2 réponses à “Richard Gilmont, des visages, des figures

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