Il a quand même une drôle de tête, André Balthazar. On dirait un poisson. Ou un escargot. Ça dépend des angles. Ça dépend des moments. Les yeux grands ouverts sur le monde qui l’entoure, il s’exprime sans emphase, mais avec toujours un petit déclic qui le titille derrière l’oreille, prêt à sortir la vanne ultime; dans une sorte d’inconscience consciente, une arrière-pensée qui remonte à des temps immémoriaux. Ceux de l’époque où il rencontre Achille Chavée et Pol Bury à La Louvière. Il a alors 16 ans. «J’avais deux oreilles et deux yeux nouveaux », me disait-il lorsque je l’ai interviewé la dernière fois. C’était en 2009. Il préparait alors le Centre Daily Bul&Co et venait de commencer avec son épouse et ses trois enfants la première étape du travail d’archivage de cinquante années de Pensée Bul. « Son squelette » comme il l’appelait.
Cela se traduisait par 45 mètres d’archives Bul et 45 mètres d’archives Balthazar. « Avec mon épouse, Jacqueline, depuis cinquante ans, nous avons conservé un maximum de documents », raconte-t-il. Ajoutant qu’un certain nombre de ces trésors avaient dû se perdre. « Bury a quitté la Belgique et La Louvière en 1961 et s’est installé en région parisienne, mais il n’avait pas le sens de la conservation », ironisait alors l’écrivain louviérois, dont beaucoup s’entendent à dire qu’il fut l’un des pionniers du surréalisme.
Les premiers trésors déterrés de la caverne de Balthazar remontent à 1950. Recensement, exploration du moindre détail, numérisation. Voilà le travail qui l’attendait encore au cours des années qui suivirent. Une plongée dans le passé qu’il estimait nécessaire. « Je ne suis pas éternel », affirmait-il. Il avait raison. Sa santé déclinante, puis le décès de l’un de ses fils, l’an dernier, ont lentement fêlé sa coquille. Il est parti rejoindre ses amis Bury et Chavée, ce vendredi 22 août 2014, dans le matin de La Louvière.
Il est ainsi parti rejoindre le décor de son enfance, lorsqu’il habitait au coin du parc Warocqué, face à la Maison des Loisirs et qu’il fréquentait assidûment la librairie de Pol Bury. Il est parti rejoindre la petite ferme de Montbliart, entre Beaumont et Chimay où l’académie éponyme a vu le jour. Il est parti rejoindre une boule quelque part, dans les Nuages, chers à Chavée, celui dont il suivi l’ombre à la trace pour ramasser ses écrits, que le poète laissait de çi, de là, sur les cartons à bière, au détour d’un comptoir. On l’imagine transporté par une de ces boules spatio-temporelles inventées par Bury, quelque part, à la verticale d’un clocher, naviguant par delà les mots, passant à la droite de quelque étoile, à la gauche de quelque aphorisme, dans la constellation du gastéropode ailé, distillant sur nous une pinçée de cette pensée dont il fit les grands jours. On l’imagine riant sous cape, pensant au bon mot suivant, avec plusieurs coups d’avance, comme dans une partie d’échecs. Le Roi Balthazar n’est plus. Il a glissé sur la vie.
Pleurez, guillemets
Soupirez, virgules
Déposez les plumes
Couchez les aphorismes
Eteignez la nuit
Le Daily Bul est en berne
André Balthazar n’est plus
Le Gastéropode a filé a l’anglaise
Sur la pointe du pied…
Fab.