Le bien. Le mal. La lumière. Les ténèbres. La Force. Le côté obscur. Une rivalité séculaire. Archétypale. Des concepts qui se sont remarquablement fondus dans le spectacle Décrocher la lune Episode V, auquel près de 30.000 personnes ont assisté à la représentation samedi soir, à La Louvière. Des quatre épisodes précédents, nous avions retenu la poésie des mots et des figures, lesquels étaient parvenus à éveiller nos sens à la beauté. Simple, malgré pléthore de moyens humains et logistiques. On pourrait croire qu’avec cet épisode V, Sancho est entré dans la modernité de plein fouet, reléguant les quatre opus précédents à de simples anecdotes. Mais, c’est sans compter sur la progression du personnage et la dimension qu’ont su lui offrir Luc Petit et Monsieur Zo. La poésie qui combat avec ses armes la violence du monde réel.
L’ordre des choses doit être changé
Tout y était, samedi : l’angoisse face au quotidien, l’impossibilité pour les gens d’ici de se reposer sur leurs lauriers de crainte de voir disparaître leurs objectifs, la tentation facile, les choix épineux qu’il faut opérer pour se frayer un chemin vers la vie, vers l’avenir. Bien sûr, Sancho ne pouvait deviner que Dark Vador, à la solde du machiavélique Joker, allait lui enlever la lune du paysage. «L’ordre des choses devait être changé», hurle l’homme à la tignasse verte et au sourire figé. Impeccable Luc Van Grunderbeek. Décidément, le rôle transcende tous les comédiens et acteurs qui l’habitent.
Le souffle coupé par la Marche Impériale, nous retrouvons les yeux écarquillés le frisson de notre jeunesse. Lorsque nous nous crispions à chaque apparition du Seigneur Sith, avec l’envie d’en découdre au sabre laser. Au coeur de La Louvière, le spectacle est grandiose. Il époustoufle. Il énergise. Il offre après trois ans de sommeil, une nouvelle aube à Sancho.
Le pantin, le coeur gonflé de courage, insufflé par la musique de l’orchestre lunaire, ne sera pas seul dans sa quête pour retrouver la lune usurpée. À la marche impériale succède le Bolero de Ravel et un incroyable mix de folklore carnavalesque, de classique, de tango, de swing. Le spectaculaire entre dans son sens le plus littéral. C’est un véritable opéra urbain qui se joue devant nos yeux.
L’intelligence du coeur
Akhénaton – secondé de Faf Larage – a composé trois odes en l’honneur de la métropole. La première souligne l’intelligence du coeur de ses habitants. Un loup hurle à la nuit sans lune. Nous entrons dans Las Louvièras Paradise, où tout est permis. C’est Gomorrhe, c’est Babel, c’est le Pays des Jouets. Tout à coup, dans cette débauche de couleurs et de merveilleuse décadence, Sancho devient Pinocchio. Et Franco Dragone devient Geppetto. Et Luc Petit, la fée bleue, qui donne vie à la marionnette.
Les pom poms girls du Spiroudancers, le groupe 2Mad, le French Cancan offert par des danseuses de La Louvière, Morlanwelz et Saint-Vaast rythment ce monde féérique mais irréel. Le Joker propose alors à Sancho que lui et ses amis affrontent ses sbires. Des rings de catch s’imposent comme les plateformes du combat entre les Forces du Bien et du Mal. Des catcheurs de la ligue belge de catch s’en donnent à coeur joie. Les Sanchistes n’en mènent pas large, malgré les cris du public arborant le masque de Sancho. Le héros est vaincu.
Un fil tendu vers l’infini
Une troupe d’anonymous sort alors de la foule pour soutenir le malheureux. Le spectacle souligne alors l’importance du slogan qui a fait la force de notre pays. «L’Union fait la force». Peu importent les visages. Peu importent les origines. Nous sommes tous des anonymes au service d’une seule cause. Noble et fière. C’est la liberté de penser et d’exister. L’hymne à la Liberté berce le parcours de funambules sur le fil tendu – ténu – qui mènera Sancho à son but. Des danseurs sont suspendus, tels des araignées à leur filin au mur de la maison communale. Une sphère gravite à 13 mètres de hauteur. Des nymphes s’y balancent, lentement. Sur la place Maugrétout, un funambule tente le va-et-vient entre le Bien et le Mal, sur un fil tendu vers le ciel. Sancho est l’élu. Celui qui parviendra à remettre l’équilibre dans la Force.
Il n’a pas dit son dernier mot. Le Joker harangue la foule pour savoir qui osera monter dans un énorme canon pour attraper la lune. Une «spectatrice» téméraire s’y essaye. Elle n’est autre que la seule femme canon d’Europe : Robin Valencia. Projetée à 25 m à la vitesse de 100 km/h, elle rate son coup (d’attraper la lune s’entend, NDLA). Une image de la lune de Méliès apparait sur la toile tendue par-dessus l’église. Aïe. Mais tout n’est pas perdu. Les super-héros viennent à la rescousse. Batman vole au secours de Sancho. Suivent alors Hulk, le Captain America, Iron Man, Super Woman. Mention spéciale à Spiderman, dont l’apparition a provoqué un joli sursaut de la foule. Et puis à King Kong qui, du haut de l’empire State Building, chasse les Tie Fighters de Dark Vador. Le Pingouin, Harley Quinn, The Riddler sont terrassés. Le Joker tente de se faire la malle. Mais il est rattrapé par les amis de Sancho et envoyé «ad patres» par le canon sur l’air du «Roi des cons».
We could be Heroes
Akhenaton et Faf Larage sont de retour sur la scène. Interprétant «Accroche aux Nuages», dont les paroles prophétiques accompagnent Sancho dans son ascension. «Ce n’est pas parce qu’on vit dans un lieu modeste que l’on n’a pas le droit de rêver», lance le chanteur d’IAM. «J’aurais pu être Louviérois», ajoute-t-il. «Je me sens proche de vous». Sancho est en route pour décrocher la lune. Il grimpe successivement la tour Wayne, le Kremlin, la Tour de Pise, la Statue de la liberté, l’Atomium, la tour Eiffel, l’église Saint-Joseph tandis que des visages de super-héros du quotidien louviérois se succèdent sur l’écran géant. Dans leur anonymat et leur identité secrète.
Le pantin arrive alors au sommet, lorsque retentit «Si tu savais», d’Akhenaton pour saluer cet acte de bravoure. Le feu d’artifice peut alors éclater dans toute sa splendeur au-dessus de la foule ébahie et en liesse sur l’air de Heroes de David Bowie. Le bouquet final reprendra le thème de Star Wars, bientôt suivi par une version épique «tambours et caisse» de la Marche impériale. La Force était avec Sancho.
Mais surtout, cette petite marionnette de mousse et de guenilles, au pantalon élimé a réussi ce que peu parviennent à insuffler dans le coeur des gens. La possibilité que tout le monde peut être le héros de quelqu’un…
Trois galeries sont disponibles ci-dessous :
Le spectacle (ALEXIS TAMINIAUX)
Les tableaux et l’ascension de Sancho (FAB)
Le spectacle #2 (AVPRESS)
Texte : Fab
Photos : Alexis Taminiaux/Fab/AVPRESS