Anthony Milazzo, regards sur l’horizon

Voir le monde d'un autre oeil, adopter une autre perspective

Instantané d’une époque récente. Page blanche sur une friche industrielle qui s’abandonne. Paysage lunaire au coeur d’une ville en mutation. Une forme indistincte apparaît au sommet d’une ruine dont on ne devine que les contours épais et grisâtres. Puis, la photo se nuance. Mais la grisaille reste. Anthony Milazzo est perché sur le toit de la Manufacture Royal Boch. Ou ce qu’il en reste. Débris d’un passé majestueux qui encore aujourd’hui garnit les tables de la plupart des Louviérois.

Le photographe jette son regard par-dessus les toits du centre-ville, comme un pécheur à la ligne, ferrant le bon poisson, la bonne prise, le bon moment. Depuis son promontoire préféré, il observe. Il ressent. Il respire. Pour la précision, il faut prendre de la hauteur. Chercher la lumière. Voir le monde d’un autre oeil, adopter une autre perspective. Ensuite on pourra lui changer ses couleurs. Tremper son quotidien dans le sel de l’existence, le filtrer, lui faire traverser le prisme qui rendra chaque moment authentique. Un travail d’orfèvre que le Louviérois connaît bien…

Un riche terreau 

Vivent les réunions de famille

Anthony est né à La Louvière le 7 mai 1985, d’un papa sicilien, ouvrier carreleur de formation et d’une maman originaire des Pouilles, couturière. «Mon papa est né ici en 1960, la moitié de ses frères et soeurs sont nés là-bas», raconte-t-il. D’un côté comme de l’autre, les fratries sont gigantesques : douze enfants chez le père, onze chez la mère. «Vivent les réunions de familles», s’exclame le jeune Loup qui, lui, se satisfait pleinement d’une soeur cadette. Ah, la famille ! Un terreau particulièrement riche pour les souvenirs. Instantanés du passé. «J’ai fait ma première photo à l’âge de sept ans. C’était un buste de mes parents», sourit-il, se rappelant les têtes coupées de ses géniteurs sur ce cliché ancien que sa maman a conservé.

Partout où il va, où il voyage, depuis lors, un appareil l’accompagne. La photographie devient une passion. Un hobby qu’il découvre lors de ses humanités artistiques à Saint-Luc à Mons. Un métier qu’il peaufine ensuite pendant quatre années, à l’occasion de cours du soir dans la classe de Véronique Vercheval au Lycée Technique Maurice Herlemont. «J’adore entendre le bruit de l’appareil photo lorsqu’il déclenche», avoue-t-il. Ses talents sont rapidement remarqués. «Au début, j’étais le pire élève qu’ils aient eux, je n’arrivais pas à faire une photo correcte.» Au final, Anthony connaît tellement son sujet qu’il est le seul à faire de la chambre technique (image inversée) et parvient à faire régler un appareil sans même le toucher. Il repart avec les félicitations du jury.

La video d'Anthony Milazzo

« J’adore le bruit de l’appareil photo quand il déclenche. »

 

Mon grand-père, ce héros

Son grand-père lui a donné le goût de l'artistique

Le Louviérois semble avoir été taillé dans le moule confectionné par son grand-père, artiste peintre figuratif, originaire de San Angelo de Muxaro, près d’Aragona (Sicile). « Mon grand-père maternel, a travaillé à la mine, mais je ne me souviens pas laquelle. Mon grand-père paternel travaillait chez Boch, dans la partie sanitaire (Novoboch) à l’émaillage. Je n’étais pas né quand il a pris sa retraite.» Tous les mercredis, au retour de l’école, ou en l’absence de ses parents, c’est dans l’atelier de son grand-père à Bois d’Haine qu’Anthony installe son terrain de jeu, au milieu des toiles et des pinceaux. «Il était artiste dans l’âme. C’est lui qui m’a donné le goût à tout cela.»

Toucher du doigt celui qui lui a montré la voie

Son décès en 1998, est une déchirure pour Anthony, qui perd son mentor et protecteur. De lui, il garde précieusement un vieux chapeau borsalino palermo que son aïeul lui a offert quelques mois auparavant et qui lui donnera le goût des couvre-chefs. De lui, il garde aussi la nostalgie de la faïencerie Boch, où il aime encore se faufiller entre les vieux moules, les vieilles assiettes fendillées pour imprimer le déclin d’une époque. Comme une fissure qui ne se refermera jamais. Quand il grimpe au sommet de ce qu’il n’hésite pas à qualifier d’endroit préféré dans la ville, sans doute est-ce pour toucher du doigt celui qui lui montra la voie, à l’image de la création d’Adam, de Michel-Ange?

Faire partager son ressenti sur le monde

De son métier, il tire l’envie de capter des émotions, et des souvenirs, pour «faire partager son ressenti sur le monde». Pas étonnant dès lors, qu’il préfère le portrait, à la fugacité du métier de photographe de presse, l’envie de raconter des histoires, plutôt que de les illustrer. Il exercera trois mois à la rédaction de la Nouvelle Gazette Centre. C’est là que Toni Bruno – encore lui – viendra le débusquer pour faire partie de l’équipe photo des Grands Miroirs, qui s’est constituée pour la dernière édition de l’opéra urbain Décrocher la Lune IV.

Une expérience humaine incroyable

«Cette édition a été une expérience incroyable sur le plan humain et professionnel», précise Anthony. «Permettre aux citoyens de participer à un événement d’envergure, c’est leur montrer qu’on ne les oublie pas.»

Est-ce là, dans le parallélisme entre l’humain et son environnement, qu’il trouve l’inspiration pour observer les chancres industriels et leur ponctionner l’âme jusqu’à l’esthétisme ? «Quand tu te balades dans ce genre d’endroit, des émotions ressortent et tu te dis que des centaines voire des milliers de personnes ont travaillé dans ces usines et finalement, plus rien ne subsiste.» Des cokeries d’Anderlues au home RTT d’Oostduinkerke où le personnel de l’ancien Belgacom envoyait ses enfants en colonie, il trouve là sa manière de raconter l’histoire de ces bâtiments à l’abandon, afin qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. On ne peut s’empêcher d’y tracer une ligne de vie entre Boch et son grand-père disparu. L’étrangeté de l’homme sous sa forme la plus éthérée.

De la terre, des hommes

À partir de là, l’on trouvera tout à fait normal sa fascination pour le Burning Man, ce festival au Nevada, pendant lequel, sept jours durant, des hommes, des femmes, des artistes, créent une véritable ville de 50.000 habitants, où les voitures hybrides créées exclusivement pour l’occasion côtoient des engins qui «n’existent que dans les films», puis la font disparaître, du jour au lendemain, sans laisser de traces, comme un mirage au milieu du désert. De même son incursion dans le Nowhere Festival, à Saragosse. «Cela m’est impossible à décrire. Comment expliquer une couleur à un aveugle ? Il faut le vivre.»

Vivre, voir la ville différemment. Prendre de la hauteur

Vivre, voir la ville différemment. Prendre de la hauteur. Poser un regard bienveillant sur les choses. Un regard inversé, comme à travers cet appareil photo Mamiya qui ne le quitte jamais, et avec lequel il trace ses histoires à main levée, comme un peintre qui poserait son chevalet devant le monde, avant de s’y jeter les bras ouverts. Mettre l’art au service de cette terre d’artistes où naquit le surréalisme. Au service de cette cité, terre d’hommes que l’on peut détester pour ses fêlures, mais que l’on peut adorer aussi pour sa mixité, ses échanges, et cette capacité à rassembler les gens, autour d’une idée. Pour qu’il regardent tous dans la même direction. Le même horizon.

Texte : Fabrizio Schiavetto
Photos : Alexis Taminiaux

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5 réponses à “Anthony Milazzo, regards sur l’horizon

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